BONUS : OTAs et chaînes hôtelières
QUAND LES OTAs DISCRÉDITENT LE MODÈLE COMMERCIAL DES CHAÎNES HÔTELIÈRES
Les chaînes hôtelières intégrées, qui ont vécu longtemps comme des coqs en pâte avec une certaine hégémonie sur le marché, ont du fil à retordre avec les agences de voyages en ligne (OTAs). Ces dernières les ont clairement détrônées sur le plan commercial. Ennuyeux quand on sait que la vocation d’une chaîne est surtout de vendre des nuitées pour les hôtels qui la composent.
Le problème des chaînes hôtelières est moins celui des commissions à payer — d’autant que les grands réseaux ont obtenu des rabais — que le fait que les OTAs cassent leur attractivité et ce, sans doute dans un sens irréversible et délétère.
Si ces OTAs, auxquelles ajouter Google, au succès énorme et inattendu, ont mis l’ensemble de l’hôtellerie sous leur botte, il n’en a pas moins été au niveau des chaînes, intégrées comme volontaires.
Et pourtant, tout le monde rêve de résister à l’impact de ces plateformes de réservations en ligne. Jusqu’à la tentative (vous alliez voir ce que vous alliez voir !) du groupe Accor de lancer une market place qui a vite été démontée au bout de 2 ans face à son fiasco. À présent, l’UMIH rêve de faire la même chose et ne semble pas avoir appris des échecs passés de tous les projets menés par d’autres (dont Accor).
Les OTAs, avec leur énorme avance, ont remodelé le fonctionnement hôtelier à leur avantage et transformé de manière inéluctable la distribution hôtelière. Pour tout dire, les grandes enseignes hôtelières ont fini par comprendre qu’elles avaient de quoi broyer du noir, notamment vis-à-vis de leurs affiliés et actionnaires.
UNE CONCURRENCE ACHARNÉE DANS LA DISTRIBUTION
L’arrivée des chaînes hôtelières en France — Sofitel Jacques Borel en 1964, puis plus massivement Novotel en 1967 — avait révolutionné le métier, avec des hôtels attractifs, fonctionnels et modernes, bien équipés… ringardisant l’hôtellerie à la grand papa. Leurs centrales de réservations fonctionnaient correctement et quelques enseignes avaient rapidement trouvé une belle notoriété, celle qui attire la clientèle.
Elles ont surtout rapidement marginalisé et fragilisé les hôtels indépendants. Si moins d’une centaines de chaînes hôtelières intégrées présentes en France ne représentent que 18 % des hôtels avec près de 3.200 adresses, elles pèsent 42 % des chambres (hôtels 3 fois plus grands que ceux des indépendants) et surtout près de 51 % de parts de marché (par rapport à l’hôtellerie indépendante). C’est donc une nuitée hôtelière sur deux qui a été accueillie chez elles en 2022 sur un total de près de 207 millions de nuitées pour l’hôtellerie française.
Vérification faite, ce n’est pas toujours que les taux d’occupation des hôtels de chaînes intégrées soient meilleurs que ceux des indépendants dans les grandes villes.
Mais, les chaînes intégrées ont, encore une fois, des hôtels en moyenne bien plus grands (ce qui leur permet de travailler avec un mix-clientèle large), sont ouverts 365 jours/365 quand beaucoup d’indépendants sont saisonniers ou ferment quelques mois par an, et sont implantés majoritairement dans les marchés porteurs que sont les espaces urbains qui leur confèrent une demande en tourisme d’affaires complétée généralement par un tourisme de loisirs. Idéal. Des hôtels indépendants ayant des caractéristiques identiques, avec une commercialisation vitaminée, obtiendraient les mêmes scores d’occupation par la clientèle, voire meilleurs grâce aux OTAs.
Et que dire de la notoriété imposante d’enseignes comme Ibis, Novotel, Mercure, Campanile ou Hilton ? Cela se traduit par une activité additionnelle, parfois forte, dont les hôtels affiliés à ces réseaux profitent pleinement.
Ou profitaient ?
D’ailleurs qu’apporte une chaîne, surtout intégrée, en termes de retombées commerciales sur ses hôtels filiales et franchisés ? 20 %, 30 %, 60 % d’activité en plus ? Malgré des affirmations péremptoires de beaucoup de développeurs de réseaux cherchant à recruter des franchisés, il est très difficile d’estimer ce qu’apporte concrètement en termes de ventes une chaîne à ses hôtels.
D’abord, cela dépend de chaque établissement, de son état de vieillissement, de son emplacement et de son marché local, dont la concurrence sur place plus ou moins présente et musclée. Mais aussi de l’action commerciale de l’hôtelier lui-même, car les chaînes n’en réalisent quasiment plus sur le terrain. Ensuite, cela diffère en fonction des gammes.
ON PEUT SAVOIR CE QUE RAPPORTENT LES OTAs. PAS LES CHAÎNES
Par comparaison, on peut savoir au jour le jour ce que rapportent les OTAs. Cela se mesure au gré des chambres vendues. Les commissions à régler sont proportionnelles à ces ventes.
Concernant les chaînes, il y a les retombées directes et identifiables, comme par exemple par les contrats corporate signés avec des grandes entreprises ou par les centrales de réservations (en comptabilisant les réservations). Mais pour ces dernières, on ne peut savoir si les clients sont venus parce que c’était la chaîne (fans ou attirés par elle) ou parce qu’ils n’ont pu faire autrement que de réserver via la centrale car dans la plupart des réseaux, les hôteliers ne peuvent avoir leur propre site. Il existe également des interconnections entre OTAs et centrales de chaînes. Ce qui fait que des clients ont pu venir par une des premières transitant par la seconde pour aboutir dans un hôtel du réseau. Bref, il n’y a rien de plus flou pour s’y retrouver.
Caractérisées par un développement devenu atone en France depuis une quinzaine d’années, les chaînes historiques sont à présent marquées par un grand nombre de faiblesses et de carence :
- une commercialisation qui se résume à gérer essentiellement les grands comptes, le cas échéant. Ainsi, toute une masse de clients issus des PME/PMI leur échappe,
- des politiques/chartes de voyages et déplacements des entreprises qui laissent désormais une grande liberté aux voyageurs d’affaires (y compris de ne pas séjourner dans les chaînes),
- une notoriété forte mais pour seulement une douzaine d’enseignes sur une centaine présentes en France,
- des programmes de fidélisation qui mobilisent peu les clients,
- des concepts uniformisés (même si c’est de moins en moins le cas), qui se ressemblent tous entre réseaux concurrents, et une offre qui ne surprend plus le public,
- beaucoup d’hôtels qui ne se modernisent/rénovent pas,
- des prix considérés comme trop élevés par la clientèle, d’autant plus avec une forte hausse depuis 2023 pour répercuter les augmentations de charges (personnel, énergie…),
- un yield management devenu barbare, avec des tarifs qui peuvent tripler voire quadrupler du jour au lendemain,
- des applications nomades sur smartphone qui sont dans les faits encore peu utilisées et ne génèrent par conséquent pas beaucoup de nuitées, même spontanées…
Les chaînes hôtelières n’attirent plus comme auparavant, de la faute des OTAs qui leur ont donné de méchants coups de boutoir.
INTERNET CHANGE LA DONNE
Car le vrai problème est qu’avec la requête d’hôtels via Internet — ce que font 93 % des clients d’hôtels —, toute la configuration dans les réservations est changée. Avant, on recherchait une chaîne ou au contraire une hôtellerie indépendante, selon le type de voyage prévu, privé en week-ends ou professionnel, en déplacement d’affaires. Les choses ont changé :
• A présent, les clients se déclarent plutôt ouverts lorsqu’ils recherchent un hôtel sur une destination et ne se fixent pas nécessairement de type d’hôtel par avance, sauf à respecter un budget maximal à ne pas dépasser.
• En 2005, selon les études de Coach Omnium, 21 % des clients d’affaires et 38 % des clients de loisirs n’avaient pas de préférences entre chaînes et indépendants. Ils sont aujourd’hui respectivement 62 % et 78 %.
• Le poids des intermédiaires est réel : 65 % des voyageurs réservent régulièrement ou occasionnellement via les OTAs, contre 42 % en 2015.
• Seulement 13 % optent pour une hôtellerie de chaînes hôtelières (intégrées et volontaires), contre 22 % en 2017 et 32 % en 2015. De facto, les garanties et renseignements apportés par les sites de commentaires de voyageurs et les OTAs encouragent les consommateurs à sortir des chaînes, qui jusque-là étaient les seules à apporter des promesses de qualité et de conformité.
Les OTAs sont par conséquent incontournables et happent les clients d’hôtels (qui choisissent cependant de leur plein gré) comme un immense aspirateur sur une fourmilière. Il est difficile de les contrer et le cas échéant, pour y parvenir, cela coûte si cher que personne, parmi les groupes hôteliers, ne peut rivaliser.
Et puis, ce n’est pas qu’une question d’argent. Il faut un marketing de pointe qui aille avec, ce qui n’est pas toujours le fort des grands opérateurs en hôtellerie.
Si elles ne créent pas un surplus de ventes — les taux d’occupation de l’hôtellerie française sont en moyennes inchangés depuis une douzaine d’années (excepté durant la crise du Covid) — les OTAs répartissent les réservations plutôt davantage au profit des hôtels indépendants qui sont bien notés par la clientèle.
MAUVAIS RÉFÉRENCEMENT ET E-RÉPUTATION
La sélection se fait à présent en aval où les hôtels médiocres sont sanctionnés via l’e-réputation par le public sur Internet et mis de côté, système génial d’information au bénéfice des consommateurs, d’ailleurs mis en place pour l’hôtellerie par ces mêmes OTAs.
En cela, contre toute attente, les grandes chaînes hôtelières présentes en France souffrent d’une e-réputation plutôt décevante, selon nos analyses, le pire étant dans les catégories économiques. Où sont parties les promesses d’excellence et les contrôles qualité en amont ? La qualité fournie est loin d’égaler la qualité perçue.
Si les OTAs sont extrêmement bien placées dans les premières pages de réponses sur Google (premier moteur de recherche en Europe) ce qui fait en partie leur succès — Booking dépense près de 6 milliards de dollars par an pour ça dans le monde – qui dit mieux ? — il n’en va pas de même des chaînes intégrées les plus importantes.
En dehors d’une marque (B&B Hotels), en tapant des mots-clefs sur Google sur 15 des plus grandes villes de France, les autres enseignes ou groupes hôteliers ne se placent qu’au-delà de la 3e page de réponses (et souvent bien plus loin). Et quelquefois cela ne concerne qu’un seul hôtel quand les groupes ou marques en proposent plusieurs dans la destination. Il est étonnant que de tels mauvais référencements soient possibles… Qu’en pensent les franchisés ?
IMPOSSIBLE DE RIVALISER PAR LE CHOIX
Par comparaison, en se mettant à la place des voyageurs, les plateformes des OTAs, ce sont des catalogues fort abondants et très diversifiés d’hôtels, mais aussi d’autres hébergements. On y trouve tout ce que l’hôtellerie représente, en termes de gammes, de localisations et de natures d’offres. Comment un groupe comme Accor avec près de 5.100 adresses dans le monde peut-il rivaliser par exemple avec Booking qui annonce plus de 28 millions d’hébergements ?
C’est bien là ce qui plaît à la clientèle sur les plateformes des OTAs : un grand choix, la possibilité de comparer, d’être informés (e-réputation) et des hôtels à tous les prix et variés. Ce que les réseaux hôteliers ne peuvent offrir.
Enfin, les chaînes intégrées sont en moyenne 20 % plus chères que les hôtels indépendants, à offre comparable. Or, le prix est devenu le premier critère de sélection des hôtels par les clients, tant du côté des particuliers en tourisme de loisirs (ce qui était déjà le cas auparavant), que des entreprises pour les voyages d’affaires, ce qui est patent depuis l’avènement de la crise économico-sanitaire. Cela redonne de manière inespérée de la place aux hôtels indépendants — s’ils restent raisonnables — qui peuvent ainsi prendre en quelque sorte leur revanche grâce à Internet.
Déjà si les chaînes hôtelières ont annoncé depuis 2023 un record de chiffre d’affaires, c’est par le truchement des hausses de prix au détriment des taux d’occupation, en recul. D’où l’intérêt de parler de RevPar, qui est bien pratique pour masquer cette dissonance.
DE QUOI ÊTRE DÉÇU QUAND ON EST FRANCHISÉ ?
Les OTAs ont largement dépassé les groupes hôteliers en termes de visibilité en ligne, de puissance et de crédibilité commerciale, lesquelles se mesurent immédiatement via les réservations. L’enjeu économique est là.
On peut presque en rire car il est impossible d’oublier que les chaînes ont regardé ces plateformes avec condescendance et moquerie à leurs débuts, comme de simples agences de voyages en version virtuelle, qui « seront rapidement en situation de déshérence, voire de mort cérébrale comme les agences en dur », pouvait-on lire en 2014, émanant d’un patron de groupe hôtelier.
Le succès des OTAs n’a été pressenti par personne et surtout pas par les groupes hôteliers. Une négligence qui est une de leurs grandes erreurs. Où sont les visionnaires dont on parle tant ?
Les OTAs ont des qualités que les clients d’hôtels reconnaissent et trouvent avantageuses. Si elles font légitimement l’objet de reproches faits par les hôteliers par rapport aux contrats avec des contenus léonins qu’elles imposent et aux taux de commission importants qu’elles aspirent, les agences de voyages en ligne redonnent une forme d’éclairage aux hôteliers indépendants qui savent les utiliser, par rapport à l’hégémonie que l’on a connu jusqu’ici venant des chaînes hôtelières.
Bref, les OTAs, les sites d’avis en ligne et les moteurs de recherche ont pour effet de rééquilibrer le marché, au détriment des chaînes hôtelières et au profit des indépendants qui savent y faire. La plupart des chaînes intégrées ne sont pas au plus mal, mais cela ne va pas aussi bien pour elles qu’il y a encore une dizaine d’années.
Il est probable que les franchisés des chaînes intégrées auront de moins en moins à cœur de payer de lourdes redevances à leur franchiseur, dès lors où ce dernier se montre dépassé par la distribution sur le Net et par une image dégradée par la clientèle.
Autant payer des commissions aux OTAs, proportionnelles aux ventes en ligne, qui seront globalement moins salées que les redevances fixes de franchise. C’est ce que pensent à présent beaucoup d’affiliés.
La fin des chaînes hôtelières ? Non, bien sûr. Mais, lentement, elles ne parviennent plus à démontrer leur capacité à contribuer à remplir par elles-mêmes les hôtels de leur réseau. Leurs franchisés s’en rendent compte. De quoi fragiliser l’argumentaire des franchiseurs.
Mark Watkins
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