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BONUS : le juste-prix en hôtellerie

L’IMPOSSIBLE JUSTE-PRIX EN HÔTELLERIE

Le juste-prix en hôtellerie, c’est comme la pierre philosophale : chacun rêverait de la détenir, mais personne ne sait comment s’y prendre. Le juste-prix est censé mettre tout le monde d’accord dans son intérêt réciproque : le commerçant et l’acheteur.

Pour les uns, la solution est dans le yield ou revenu management (technique qui consiste à faire évoluer les prix des chambres en fonction de la période, des cibles de clientèles et plus largement du principe de l’offre et de la demande prévisionnelle — pour peu que l’on puisse encore faire des prévisions). Sauf que cet outil est moins fait pour les clients que pour l’hôtelier…

Pour d’autres, le prix se fait en fonction de ceux de leurs concurrents (60 % des hôteliers indépendants agissent ainsi — voir graphique), qui font peut-être de même …et ainsi de suite. C’est le chien qui se mord la queue, en somme et l’on finit loin du juste-prix.

Enfin, les plus gestionnaires ne jurent que par des tarifs qui se basent sur le prix de revient auquel ajouter une marge… sauf que peu d’hôteliers savent vraiment calculer les vrais prix de revient de leur établissement, étant perdus par rapport aux charges fixes et celles qui sont proportionnelles. Lesquelles sont parfois trop élevées et rendent alors l’hôtel hors marché !

On en est donc réduit à se fier à une sorte de flair ou de prescience sur le prix appliqué au jour le jour, en espérant qu’il conviendra à la clientèle bien difficile à contenter sur ce registre.

INTERNET A CHANGÉ LA PERCEPTION DES CLIENTS

Car le sujet est d’importance au moment où Internet a absolument tout bousculé dans les consciences et que la crise économique est passée par là, touchant la clientèle de loisirs tout autant que les voyageurs d’affaires.

Ainsi, près de 42 % des voyageurs trouvent les hôtels français trop chers, selon les dernières enquêtes de Coach Omnium auprès des consommateurs. Au-delà des prix de chambres, les clients d’hôtels sont même 44 % (comme pour les prix des chambres) à juger que ceux des petits déjeuners sont devenus bien trop élevés : « payer 14 à 18 euros pour un petit déjeuner dans un 3 étoiles, soit 30 à presque 40 euros à deux, c’est excessif ! », récolte-t-on souvent.

Les hôteliers coincés par le monde concurrentiel d’Internet, avec les OTAs, sont bloqués dans leur politique tarifaire ; beaucoup ont par conséquent cherché à se rattraper dans les tarifs des petits déjeuners… mais la clientèle s’en est vite aperçue et cela a fait s’effriter leurs taux de captage.

Du coup, parce qu’il faut souvent trouver un hôtel où se loger au cours d’un voyage, 2/3 des clients — devenus des chasseurs de primes ?sont toujours à la recherche de prix hôteliers cassés ou de bons plans. Les nombreux sites comparatifs les y aident d’ailleurs, ce qui met les hôteliers dans un gros embarras.

Pour 74 % des voyageurs, le prix est le premier critère de sélection d’un hôtel où séjourner, contre 58 % en 2017.

Cette perception par les voyageurs du « trop cher » désarme et révolte les hôteliers qui n’ont de cesse de penser — souvent à juste titre, même s’ils ne savent pas toujours le mesurer — qu’en vendant moins cher, ils perdraient de l’argent et seraient très vite acculés au déficit. Certes, les hôtels neufs ou entièrement rénovés sont moins sujets à mécontentement sur les prix que les autres (mais avec des limites). A l’inverse, personne n’est satisfait de payer ce qu’il considérera toujours comme trop cher pour un confort minimaliste, dépassé et/ou vétuste.

RAPPORT « BUDGET/PRIX »

On se rend compte que l’avis des clients d’hôtels sur ce registre de la tarification se tient davantage à la notion de rapport « budget/prix » plutôt qu’à celle de rapport « qualité/prix ». En résumé, c’est moins « ce que cela vaut » qui est remis en cause que « ce que l’on est prêt à dépenser ». Beaucoup de voyageurs qui pensent que l’hôtel est trop cher préfèrent donner la priorité à d’autres dépenses jugées plus justifiées. C’est le fameux arbitrage budgétaire.

D’autres opinions d’après séjours sont liées à la consommation par elle-même et au prix que l’on considère comme correct par rapport à ce qu’on a reçu comme prestation. On est alors en pleine subjectivité. Par exemple, rester quelques heures dans sa chambre juste pour y dormir produit une impression différente qu’en y séjournant de 18 heures à 11 heures le lendemain. Mais pour ça, l’hôtelier ne peut rien.

50 % des clients d’hôtels français et étrangers sont satisfaits de notre hôtellerie et 38 % dénoncent une qualité irrégulière, le pire côtoyant le meilleur (étude Coach Omnium). Il faut cependant rappeler qu’avec les avis, notations et photos en ligne déposés par les autres voyageurs, on choisit les hôtels où séjourner plus facilement en connaissance cause, avec un risque moins accru d’être totalement déçu.

Plus largement et presque plus intimement, le client ne voit que ce qu’il consomme réellement à l’hôtel (usage du lit, douche, TV, WC, café-viennoiserie au petit déjeuner…). Il peut alors avoir le sentiment qu’on lui facture de trop, pour des équipements et produits bel et bien disponibles mais qu’il n’utilise(ra) pas ou qui ne l’intéressent pas. Par exemple, un buffet de petits déjeuners alors qu’il ne consommera qu’une broutille…

BAISSER LES PRIX, EST-CE UNE SOLUTION IDÉALE ?

Si le principe est plus ou moins acquis de pouvoir augmenter les tarifs lorsque la demande est forte (avec des plafonds !) — état idéal où l’hôtelier est roi —, il n’en va pas de même lorsque les clients manquent, qui est une situation généralement plus courante que la première.

Doit-on alors vendre moins cher pour attirer les clients ? Viendront-ils massivement grâce à cela ? Jusqu’où baisser mais aussi relever ses prix ?

On en revient presque à regretter le début des années 1980 où les prix étaient bloqués pour lutter contre l’inflation. C’était quelque part plus simple et on ne se cassait pas la tête sur ce registre de la variation tarifaire. On n’en est plus là et la tarification dans le tourisme va dans tous les sens et s’est presque individualisée. Le low cost a en cela bousculé la compréhension du quidam voyageur…

Au final, plus personne ne paie la même chose pour obtenir la même prestation ou presque. Plus personne ne sait ce que vaut réellement une prestation touristique, hôtel compris.

Quelques idées reçues hantent encore les esprits des hôteliers, comme celle de s’interdire de réduire ses prix, voire de faire du dumping, pour une question d’image et de standing de son établissement. Aussi noble soit cette considération, ceux qui tiennent ce raisonnement finissent par avoir un hôtel vide et paradoxalement sans rentabilité.

Car Internet a largement instruit et habitué les consommateurs à se retrouver face à des tarifs qui bougent constamment dans tous les domaines, à la hausse ou à la baisse, sans que l’image du commerçant concerné n’en soit désormais affectée. Évidemment, toute proportion reste vraie. Un hôtel avec des chambres à 500 € ne va pas les vendre ponctuellement à 100 €. Mais il existe pour lui une large marge de manœuvre.

EN 20 POINTS, IL EST SANS DOUTE POSSIBLE DE RETENIR QUE :

1 – Le prix est un contrat entre l’acheteur et le vendeur ; pour autant, on n’achète jamais un prix et à peine une prestation, mais une « solution » : un endroit où passer la nuit le plus pratique et/ou agréable possible, par exemple, avec des prestations complémentaires.

2 – Le prix est un indicateur de catégorie qui a remplacé tous les autres codes et références, dont les fameuses étoiles de l’hôtellerie.

3 – On ne peut pas prétendre éduquer les clients et leur expliquer la gestion d’une entreprise hôtelière pour les aider à mieux comprendre pourquoi les tarifs sont ainsi proposés à tel ou tel niveau. Au mieux, cela ne les intéresse pas.

4 – Le prix est toujours psychologique et en aucun cas il n’est objectif. Ce qui semble contradictoire tandis qu’afficher des euros semble concret : ce qui est perçu par l’un comme normal sera ressenti par un autre comme trop élevé parce que chacun a sa propre grille de lecture basée sur son expérience d’acheteur-voyageur, son aisance financière, ses goûts, ses contraintes et ses priorités. C’est la raison pour laquelle il est difficile de trouver un juste-prix qui serait universellement reconnu en tant que tel par toute la clientèle et qui la satisferait toute.

5 – La perception des prix est fluctuante et peut changer très rapidement chez une même personne selon beaucoup de paramètres qu’elle maîtrise …ou pas. Ce qui paraît bon marché aujourd’hui pourra sembler trop cher demain. Et inversement.

6 – Les prix étant désormais très ouverts dans le tourisme, sans que l’on puisse comprendre pourquoi en tant que consommateur, il est impossible de savoir ce que vaut une prestation : le fameux juste-prix encore une fois est presque impossible à déterminer car cela n’est pas universel.

7 – Le tarif bas peut ne pas rassurer des consommateurs et paradoxalement ne pas les attirer en générant une méfiance. Un prix élevé engage le prestataire vers une obligation de résultat de satisfaction totale de ses clients passant par l’excellence et la générosité des moyens consacrés. Si le client a l’impression de payer cher, il doit avoir le sentiment que cela coûte également cher au prestataire auprès de qui il achète.

8 – Le prix est un élément de l’image de l’hôtel avec de surcroît le principe que les tarifs ne peuvent plus être figés. Une tarification dynamique donne la sensation d’avoir affaire à un commerçant dynamique.

9 – Un hôtel qui propose trop de prix différents selon les types de chambres, la période, le nombre d’occupants, l’orientation, la vue, etc. désoriente les clients. Ces différences ne sont d’ailleurs pas toujours pertinentes. Ce qui est simple à comprendre se vend toujours plus facilement.

10 – Les clients d’affaires n’ont plus forcément plus de budget à dépenser à l’hôtel que les clients de loisirs qui paient de leur poche. Les politiques de voyages des entreprises (95 % en ont une) se sont renforcées et cherchent à limiter les dépenses dans les déplacements des collaborateurs, y compris pour les cadres supérieurs.

11 – Faire payer un prix unique par chambre louée quel que soit le nombre de personnes occupant la chambre est le bon choix, bien mieux compris par la clientèle que le supplément single ou la facturation du lit supplémentaire.

12 – La gratuité des enfants dans la chambre de leurs parents est devenue obligatoire dans l’esprit des familles.

13 – Les étoiles prises en compte par seulement 16 % des clients d’hôtels français et européens (8 % des seniors) ne peuvent plus donner le « la » de la tarification. D’autant que 2/3 des hôteliers qui ont demandé une étoile supplémentaire dans le nouveau classement, par rapport à l’ancien, ont cru qu’ils pourraient relever impunément leurs prix sans enrichir leur offre.

14 – Se rappeler qu’il vaut évidemment mieux louer une chambre moins chère que de ne pas la louer du tout, sachant que chaque cas de baisse significative de prix doit être considéré comme une exception. Une chambre laissée vide coûte pratiquement la même chose à l’hôtelier (charges fixes majoritaires : 85 à 90 %) qu’une chambre occupée.

15 – Accorder un avantage tarifaire (ou un cadeau de type surclassement) doit toujours être exprimé au client comme une faveur ou privilège qu’on lui fait et non comme un droit dont il bénéficierait. Le mieux est de trouver un prétexte à cette « prime » et de le déclarer ainsi au client.

16 – La plupart des consommateurs oublient presque toujours le prix payé pour se souvenir de la belle qualité de la prestation (ou de sa médiocrité) et des raisons de sa satisfaction (ou de son mécontentement). Le prix est un élément volatile. Mais, il reste un critère de choix et de filtrage de départ.

17 – Les prix hôteliers bas certains jours de la semaine ne vont pas influencer les clients et déclencher un séjour. Quand un homme d’affaires doit se rendre à Toulouse le mardi, il ne changera évidemment pas son voyage pour le lundi si l’hôtel est moins cher ce jour-là. Un prix attractif pourra faire choisir l’hôtel qui le propose au détriment de ses concurrents, mais ne provoquera évidemment pas une décision de voyage.

18 – Le yield management peut devenir abusif et un danger pour l’hôtellerie. Quand dans certaines villes (dont Paris en premier), les tarifs peuvent aller jusqu’à quadrupler lors de salons ou d’événements attirant du monde (par exemple les JO), les clients piégés le vivent mal. Ils s’en souviendront pour ne pas plus se faire avoir lors d’un prochain séjour dans la destination. Ou pire, ils exprimeront leur mécontentement dans les avis en ligne et se vengeront ainsi. Gagner des euros ponctuellement en augmentant trop massivement ses prix fait prendre un grand risque à l’hôtelier par une e-réputation assassine qui sera, elle, durable et pourra faire perdre beaucoup d’euros par la suite.

19 – Une impression finale d’hôtel trop cher par rapport ce qu’on y trouve équivaudra à une impression par le client de trahison. Il a fait confiance, il a accepté le prix convenu au moment de la réservation et il est déçu. Il pense n’en avoir pas pour son argent et voudra souvent prendre sa revanche par un dépôt d’avis négatif sur les sites de commentaires en ligne et/ou les réseaux sociaux.

20 – Pour fidéliser des clients d’affaires (ceux qui ont le plus de chances de revenir plus souvent dans la destination), outre un hôtel qui plaît et un bon relationnel avec lui, il faut évidemment que le prix convienne, quitte à proposer à terme un tarif privilégié aux habitués (selon le nombre de séjours ou nuitées par an).


L’IMPACT DE LA HAUSSE DES CHARGES

Après la crise du Covid où le tourisme a été mis à plat et en corollaire l’hôtellerie, et avec la guerre en Ukraine, les hôteliers — comme toutes les entreprises et les particuliers — ont été confrontés à un alourdissement de leurs charges d’exploitation : énergie, eau, frais de personnel, taux d’intérêts, remboursement de la PGE, matières premières, etc. Tous ont répercuté ces hausses dans leurs prix, avec une conséquence plus ou moins négative en termes de taux d’occupation. Dès lors où une grande partie de la clientèle trouve déjà que les hôtels sont trop chers, ce coup de pouce tarifaire pourrait durablement sanctionner la fréquentation des hôtels.

Tout comme la campagne médiatique qui a dénoncé les prix himalayens des hôtels à Paris durant les JO 2024, qui a donné une mauvaise image de « profiteurs » à l’ensemble de l’hôtellerie, les amalgames étant vite faits.

Mark Watkins

Un spécialiste reconnu du tourisme d’affaires, de l’hôtellerie et du marketing touristique

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