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BONUS : prévisions conjoncturelles

TOURISME & HÔTELLERIE : peut-on faire des prévisions sans mentir ?

SOYONS CLAIRS. Professionnellement, nous avons tous envie de savoir de quoi nos lendemains seront faits. Histoire de nous préparer et de nous organiser face aux évolutions du marché, de l’économie, de la consommation, de la réglementation, etc. C’est encore plus vrai par rapport au Covid. On voudrait imaginer quand cela s’arrêtera et quand la vie reprendra son cours normal.

Sauf que l’art divinatoire ne peut s’appliquer en ce domaine, et surtout pas en matière de conjoncture et d’économie. D’autant plus dans le tourisme et l’hôtellerie où l’on ne sait même pas quelle sera l’activité sous un mois.

Aussi, dire par avance quelle sera la demande et avec quels scores est tout simplement du registre de l’impossible. Pour ne pas dire de la mythomanie.

« Des prévisions d’activité dans le tourisme et l’hôtellerie, vous en avez déjà vu se réaliser, vous ? », assène Philippe, un propriétaire de plusieurs hôtels franchisés à des chaînes à qui on ne la fait pas. Et de fait, les données d’activités que l’on se glorifie d’annoncer sur le secteur hôtelier ne se concrétisent pour ainsi dire jamais, avec parfois des résultats au final très différents des projections fournies.

Déjà avant la crise du Covid-19, les liseurs de marc de café étaient légion pour nous fournir des prévisions clef en main sur ce que sera la demande dans le tourisme et l’hôtellerie. L’évolution de la conjoncture à moyen et long termes n’avait aucun secret pour eux. Certains pouvaient nous dire avec une précision d’horloge atomique quels taux d’occupation et RevPar fera l’hôtellerie française sous 12 mois, voire sous 2 ans (!), comment travailleront les campings la saison suivante et combien la France recevra de touristes étrangers, y compris de quelles nationalités. Rien sur la couleur dominante de leurs voitures ?

Déjà, on ne sait pas identifier les touristes qui viennent en France, donc on ignore comment les compter et ce qu’ils dépensent. Aussi, faire des prévisions sur leur fréquentation est de la science-fiction… Voir notre article sur le sujet.

LE MONDE D’APRÈS

Mais, dans « le monde d’après », les divinateurs sont encore plus actifs à tirer les cartes. Normal : tout le monde veut connaître l’avenir, dont les médias. Il y a donc une demande et l’offre suit…

Ces diseurs de bonne aventure ordinaires prétendent savoir comment le tourisme va rebondir, quand et comment nous sortirons de la crise, quelles destinations auront du succès, quelles clientèles reviendront en premier et même quelle physionomie et quelles attentes aura désormais le « touriste nouveau » après le passage du satané virus.

Dernièrement, un pourtant réputé cabinet de conseil a prédit que le tourisme d’affaires ne reprendra comme avant la crise du Coronavirus qu’en 2030. Pour le tourisme de loisirs ce sera en 2026. Trop fort. Le tout bien repris par les médias qui se montrent malgré eux complices de ce genre d’ineptie. On veut connaître la marque et le modèle de sa boule de cristal pour vite l’acheter ! Ou comment se faire mousser à bon compte…

N’est-ce pas singulier ? Alors que nous sommes entourés d’un brouillard épais face à ce coup d’arrêt mondial dû au Covid-19, situation complètement inédite, s’il en est. Nous ne faisons qu’entrer dans une récession économique, dont personne ne peut connaître l’issue et surtout la durée.

Mais, justement, coup de chance ! Moins on sait, et plus cela laisse la place à ces « mages » de cour de récré à plastronner et à nous servir leurs divinations sur le futur du tourisme et de l’hôtellerie d’après-Covid.

Mieux encore. Quand auparavant des prospectives conjoncturelles étaient faites à une année — ce qui était déjà fantasque —, certains sont capables de nous dire que nous aurons une reprise d’activité sous 2, 3 ou même 5 ans ! En s’honorant même de la chiffrer avec moult détails, de surcroît. Il ne manque que l’heure de sortie de crise pour que cela soit parfait. Pensée : se souvenir des années 1970 et 1980, où l’on annonçait que nous mangerions tous des pilules colorées en guise de repas à partir de l’an 2000…

Il y a là autant de fumisteries que de fumistes, disons-le tout net. Et on s’étonne qu’autant de journalistes, de politiques et de professionnels — généralement pas si bêtes en temps normal — se laissent abuser et reprennent en chœur des prévisions économiques qui n’ont pas plus de valeur que l’encre et le papier avec lesquels elles sont publiées.

NUL NE PEUT PRÉDIRE L’AVENIR

Il faut cependant ne pas confondre deux notions différentes : objectifs et futurologie.

OBJECTIFS : ce que l’on veut faire. On peut établir des prévisions d’activité, qui deviennent alors des objectifs, des buts à atteindre, une stratégie. Il en va de la fréquentation de son affaire, de la rentabilité, de l’activité, de la commercialisation, de parts de marché, etc. Il s’agit alors de prévoir et de planifier ce que l’on souhaite qu’il arrive ou ce qui pourrait éventuellement arriver « si tout se passe bien » et si l’on y met les moyens idoines. C’est le cas des comptes d’exploitation prévisionnels, des business plans, des plans de trésorerie, etc. que l’on détermine comme une feuille de route, un schéma directeur. Ce n’est pas de la cartomancie, mais bien une ligne de conduite définie par avance. Ce qui n’interdit pas, évidemment, de se réorienter constamment.

FUTUROLOGIE : on ne parle plus d’objectifs que l’on peut suivre, guider et maîtriser, mais de ce qui va arrivercomment et par quelle magie ? —, comme la voyante qui lit l’avenir dans la main ou celui qui jette des osselets avec un air inspiré. On a le droit d’y croire, mais en économie, c’est quand même très borderline. Ce qui signifie que l’on saurait prévoir l’imprévisible, tout bonnement. La réalité démontre bien que ce n’est pas possible et que de prédire dans ce cas est mensonger.

Si la prospective est complexe en temps normal, elle l’est encore plus dans le tourisme et l’hôtellerie, où cela ne se passe quasiment jamais comme on l’a prévu et annoncé. Il existe des milliers de facteurs d’influences et d’événements imprévisibles, favorables et surtout défavorables, qui interagissent sur le marché touristique et contrarient toute possibilité de prévisions économiques. Même à la louche.

• Les sondages : il est courant que des sondeurs interrogent le public, par exemple dès le printemps sur leurs intentions de départs en vacances, ou enquêtent auprès des professionnels sur l’état avant saison des réservations dans les campings et les hôtels. Nous aurons dans ce cas une tendance à un instant T — qui pourra d’ailleurs être très différente 2 semaines plus tard —. Mais, en dehors du très court terme (à 1 ou 2 mois), on ne peut pas en tricoter des projections allant plus loin dans le temps, surtout chiffrées. Car il existe toujours un décalage entre les intentions et les actes, parfois irrationnels, des consommateurs. D’autre part, encore une fois, des aléas de toutes sortes peuvent contrarier la demande et donc l’activité.

Dans le tourisme, c’est après la saison touristique que l’on sait ce qu’il en a été ; pas avant.

QUI SONT LES DIVINATEURS ?

Dès lors où les journalistes sont les premiers à demander constamment que l’on donne des prévisions, ceux qu’ils interviewent se sentent obligés d’y répondre. Même et surtout s’ils n’en savent rien. Au risque d’être sinon blackboulés. Parfois, ils se laissent piéger face à l’exercice ; parfois ce sont des adeptes de la boule de cristal qui ne demandent que cela dans le dessein de briller.

Pour le tourisme, on trouve beaucoup de consultants et cabinets d’études — avec leur régiment de stagiaires et leurs petits moyens — qui revêtent le costume de l’imposture divinatoire. Mais aussi des patrons de groupes (pour rassurer leurs actionnaires), des présidents d’organisations professionnelles (qui annoncent des chiffres prévisionnels catastrophiques afin de dramatiser la situation du secteur auprès des pouvoirs publics) ou encore des élus territoriaux et même le ministre en charge du tourisme « himself » (pour expliquer ce que le tourisme leur devra de bénéfique).

Tous sont dans la pifométrie (rappel : puisqu’on ne peut pas prédire l’avenir) ; mais on ne leur en tient pas rigueur. N’aime-t-on pas les visionnaires même quand ils n’en sont pas ?

DES MOYENS ?

On a beau faire ce qu’on veut, il n’existe pas d’outils pour prédire l’avenir dans le tourisme, pour les raisons déjà évoquées et parce que l’avenir n’est pas palpable, pas concret, pas réalisé, …par définition. Observer ce qui s’est passé pour projeter un futur, comme on le fait dans le yield management, a ses limites. Cela signifierait que l’avenir ne serait que du passé qui se renouvelle constamment, ce qui n’est évidemment pas vrai. Il n’y a pas non plus de cycles (qui se répètent), comme on le dit souvent à tort. Et il n’existe pas d’outils économétriques qui permettraient de se projeter dans l’avenir.

Et puis pourquoi se donner du mal à réfléchir et à travailler, à mettre au point des outils de divination… quand il est si facile et si rapide d’inventer ?

CONVAINCRE QUE L’ON SAIT (PLUTÔT QUE DE SAVOIR)

Les prévisionnistes en chewing-gum adoptent toujours la même posture et les mêmes moyens pour convaincre. Car, leur souci est moins de parvenir à définir le futur — qui est finalement accessoire pour eux dès lors qu’ils le déterminent au doigt mouillé — que de chercher à faire croire qu’ils savent, qu’ils maîtrisent le sujet à fond, qu’il sont des visionnaires. Ainsi, l’enjeu est dans la capacité à donner l’illusion du savoir. Et pour cela, ils utilisent un ton péremptoire, n’acceptent pas que l’on mette en doute leur parole, parlent au futur (et pas au conditionnel) et utilisent une attitude « sûr de soi » et hautaine.

Comme personne ne peut se projeter, on ne parvient pas à remettre en question celui qui le fait au moment où il le fait. Et il est étrangement rare que l’on vienne chercher des poux dans la tête du devin pour lui rappeler, plus tard, que ses prédictions étaient fantaisistes ou imbéciles. Lui, le sait et en profite.

Notre société a beau être cartésienne, on donne encore du crédit aux prophètes auto-proclamés, comme s’ils étaient de naissance divine ou nantis de pouvoirs extra-lucides. « Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois ».

PRÉVISIONNISTES HONNÊTES ?

Oui, cela existe. Car si on ne peut pas prédire le futur, on doit y travailler. A la différence du comique évoqué ci-avant qui ne doute de rien, le « vrai » prévisionniste parlera — s’il est honnête — de tendances, et ce toujours au conditionnel. L’emploi du « si » est sa marque de fabrique. Il donnera difficilement des chiffres. Le cas échéant, il s’agira plutôt de fourchettes que de données précises. Et, elles seront remises avec beaucoup de précautions d’usage et de réserves. Sans oublier l’humilité qu’impose l’exercice.

ABUS DE CONFIANCE

« L’avenir n’est plus ce qu’il était » (Paul Valéry)

Les prévisions conjoncturelles ne sont pas autre chose que des promesses, que personne ne se sent obligé de tenir. Et les promesses ne valent que pour ceux qui y croient. Aussi, la futurologie sortie du chapeau a sûrement de beaux jours devant elle (tiens, c’est de la prospective !) et les futurologues du tourisme ne vont pas se taire de sitôt, tant qu’ils auront des journalistes et un public pour les écouter. Et comme, encore une fois, personne ne leur donne rendez-vous quelque temps après pour qu’ils rendent des comptes sur leurs divagations, la série pourra continuer à l’envi.

En résumé, personne ne sait rien de l’avenir, surtout en matière conjoncturelle et économique. Dans le cas contraire, c’est de la supercherie pure. Et si des prévisions s’avèrent se réaliser, ce n’est que par pur hasard, voire coup de chance pour celui qui les a produites.


PETIT MANUEL DU PARFAIT PRÉVISIONNISTE CONJONCTUREL :

Les méthodes non pas pour prédire l’avenir, mais pour convaincre l’auditoire qu’on connaît le futur sur le bout des doigts, sont toujours les mêmes, sous deux aspects et postures complémentaires et interdépendants :

1) – VERSER DANS LE SCIENTIFIQUE : pour démontrer qu’il sait de quoi il parle en matière de futurologie, le vaticinateur évoquera les « outils de modélisations algorithmiques » qu’il possède, ou encore ses « matrices économétriques » (personne ne sait de quoi il s’agit). Voire aujourd’hui ses solutions d’intelligence artificielle

Il affirmera qu’il utilise des méthodologies de pointe (lesquelles ? ppffft…), très performantes et puissantes, qui ne cessent d’évoluer avec la technologie d’avant-garde qu’il détient (et qu’il est seul à détenir). Il fournira des prévisions chiffrées jusqu’à un ou deux chiffres derrière la virgule (on est dans le scientifique ou pas ?). Il publiera des tableaux très riches en données et de jolis graphiques avec beaucoup de couleurs.

Ah, important : soucieux de transparence et pour faire taire les incrédules, le devin économiste publiera ses propres chiffres un an après ses annonces annuelles. Ils seront toujours bizarrement proches de ce qu’il avait prédit. S’auto-valider, quoi de mieux pour ne pas risquer la contestation.

Le prophète conjoncturel empruntera une posture austère et tant que possible mystique. Il emploiera des termes très-très sérieux, et si possible illustrés par un jargon pseudo-scientifique… Surtout il n’avouera jamais que, frappé par la grâce, il écrit ses prévisions sur un coin de table, sous l’emprise du pastis et de la fumée d’herbes péruviennes ou de Provence.

2) – MÉGALOMANIE & GRANDILOQUENCE (et effets de manches) : à faire…

  • Se placer au-dessus des autres (eux ne savent rien et sont des cancrelats puisqu’ils n’ont aucune connaissance en matière d’avenir),
  • Se faire exagérément rassurant, car les gens veulent être rassurés sur l’avenir, ce qui facilite l’écoute du devin,
  • Jouer celui qui détient « LA » science — mieux, qui est relié directement aux puissances du cosmos et qui jouit d’une inspiration extra-terrestre — (ça peut parfois marcher),
  • Monologuer doctement, noyer le poisson dans l’eau, occuper le terrain pour décourager les questions dérangeantes,
  • Brandir une autorité absolue, invectiver avec virulence celui qui mettrait cela en doute,
  • Parler fort et d’une voix alerte (on donne toujours raison à celui qui parle le plus fort),
  • Prendre une posture « très sûr de soi », être définitif et péremptoire,
  • Le plus possible : s’auto-satisfaire (être content de soi), s’auto-congratuler, s’auto-décorer…
  • Rappeler que toutes « ses » prévisions passées se sont réalisées (personne n’ira vérifier, voire, tout le monde s’en fiche),
  • Publier ses propres chiffres (inventés ou arrangés) qui confirment bien que ses prédictions étaient justes,
  • Expliquer que l’on est à l’origine de bien des réussites grâce aux prévisions faites et validées par la suite (on ne sait pas comment, ni par qui),
  • Impressionner par des affirmations aussi grossières qu’impossibles à vérifier (plus c’est gros, plus ça passe),
  • Parler au temps futur et jamais au conditionnel,
  • Ne jamais dire « je ne sais pas », ne pas douter, avoir réponse à tout et à n’importe quoi (y compris en répondant tout et n’importe quoi),
  • Affirmer que l’on conseille les plus grands et ce, dans le monde entier (patrons de grands groupes, scientifiques, politiques, ministres, voire Dieu…),
  • La prétention et la vantardise sont fortement recommandées. La folie des grandeurs sera appréciable.
  • Liste non limitative.

MàJ le 7 janvier 2022

Mark Watkins

Un spécialiste reconnu du tourisme d’affaires, de l’hôtellerie et du marketing touristique

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