BONUS : statistiques sur l’activité hôtelière
PEUT-ON (VRAIMENT) SE FIER AUX BAROMÈTRES CONJONCTURELS HÔTELIERS ?
Les baromètres conjoncturels hôteliers sont bien pratiques, voire nécessaires, pour suivre et apprécier l’évolution de la demande hôtelière. Mais, ce serait vrai s’ils étaient tous justes et honnêtes. Ce qui n’est malheureusement pas le cas.
Par expérience de leur usage, les statistiques fournies par l’Insee sur l’activité de l’hôtellerie française laissent peu de doute sur leur sérieux, même si aucune collecte de données n’est absolument parfaite.
À côté de cela, il circule de manière récurrente des chiffres conjoncturels émanant de cabinets d’études privés. Ces données et commentaires associés ne sont pas aussi vertueux, justes et honnêtes que leurs auteurs et promoteurs veulent bien l’affirmer …et cela pose un vrai problème. On vous explique tout.
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L’INSEE, CRÉDIBLE ?
Si le baromètre conjoncturel hôtelier de l’Insee n’est forcément pas totalement incontestable — mais lequel pourrait être à 100 % exhaustif ? (NDLR) —, il se rapproche assurément des bonnes pratiques, avec une représentativité crédible. Au moins sur le plan national. Que cela plaise ou non, il est largement le plus vraisemblable et le plus réaliste de ce qui existe actuellement en France. Autrement dit, personne ne fait aussi bien et de toute façon pas mieux.
Les hébergeurs hôteliers professionnels ont obligation de répondre à l’Institut national de la statistique et des études économiques. Et même si un certain nombre fournit des données incorrectes ou approximatives, elles sont noyées dans la majorité qui informe juste. L’Insee obtient chaque mois des réponses sur l’activité de près de 12.000 hôteliers (indépendants et chaînes), soit environ 70 % de l’offre. Il faut ajouter que l’institut n’a à priori aucune préoccupation clientéliste.
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DES CABINETS PRIVÉS qui publient des baromètres conjoncturels hôteliers ?
Ils sont à présent près d’une dizaine qui éditent des statistiques et émettent des communiqués de presse mensuels ou annuels sur le sujet.
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QUELLE EST L’IMPORTANCE D’UNE REPRÉSENTATIVITÉ DANS LES ÉCHANTILLONS ?
Comme pour toute étude, si l’on veut analyser une tendance ou des faits sur un marché, il faut interroger un échantillon représentatif de « témoins », d’acteurs, d’opérateurs. Comme disait Michel Guérard, « on ne fait pas une bonne cuisine avec de mauvais produits ».
Dans le cas des baromètres conjoncturels hôteliers, on doit respecter la variété de l’offre hôtelière en présence dans l’échantillon interviewé : par gamme (classés et non classés), par types de localisations (grandes et moyennes villes, campagne, stations de montagne et balnéaires, etc.), indépendants et chaînes intégrées, par région, et même par capacités moyennes. Tous ces segments d’offre ont leurs spécificités et ne fonctionnent pas nécessairement de la même façon, ni avec les mêmes résultats de remplissage.
Ne pas se soucier de la représentativité dans une étude, produit une analyse fausse, qui par voie de conséquence ne sert à rien. Par exemple, il ne viendrait à l’idée de personne de sensée de n’interroger que des hommes pour parler de l’ensemble de la population, de ne sonder que des cadres pour représenter tous les actifs ou que des citadins pour évoquer tous les Français.
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LES PUBLICATIONS DES CABINETS PRIVÉS : CRÉDIBLES ?
Sur ce thème des baromètres conjoncturels hôteliers, aucun cabinet d’études privé ne peut réunir les ressources de l’Insee pour interroger un échantillon représentatif et suffisant d’hôtels. Appeler ou contacter chaque exploitant hôtelier sur des milliers nécessaires est de l’ordre de l’infaisable pour ces structures privées, malgré ce que certains de leurs responsables prétendent (et que personne ne vérifie). Surtout au mois le mois. Cela demanderait des moyens humains colossaux qu’aucune de ces organisations ne détient et ne pourrait financer. Or, il n’y a pas d’autre méthode pour collecter des chiffres sur l’activité de l’hôtellerie, dont on peut se fier, alimentant un baromètre conjoncturel hôtelier.
Par ailleurs, si les chaînes hôtelières intégrées tiennent des statistiques ordonnées et les transmettent (voir plus loin), les cabinets privés ne réussissent pas — pour peu qu’ils s’en donneraient la peine — à obtenir des renseignements de la part des hôteliers indépendants, qui sont 82 % des hôtels en France (hors franchisés).
S’ils y parvenaient significativement, l’effort accordé par les indépendants ne serait jamais constant : ces derniers seraient peu nombreux à répondre avec assiduité à une enquête et surtout chaque mois. Et ce, quel que soit le moyen employé : par téléphone, par formulaire sur Internet ou par envoi de questionnaires.
Tenir un baromètre conjoncturel hôtelier juste est par conséquent impossible pour les sociétés d’études privées et consultants. Sauf à inventer les datas et à écrire sur un coin de table son contenu.
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UN FURIEUX DÉCALAGE ENTRE LES BAROMÈTRES CONJONCTURELS HÔTELIERS DE CABINETS PRIVÉS ET CELUI DE L’INSEE
Le graphique ci-contre montre clairement que les données sur les taux d’occupation hôtelière, calculées par l’Insee d’après ses propres collectes auprès des indépendants et des chaînes, sont en grosse discordance avec celles publiées par les cabinets d’études privés (2 exemples cités ici). C’est jusqu’à plus de 7 points de différence… soit un écart de près de 20 millions de nuitées ! Rien que cela !
Suffisamment beaucoup pour se poser de méchantes questions sur la validité des publications de ces bureaux d’études. Et ce constat existe depuis longtemps, année après année. Nous avons vu que les différences ont même pu être de 10 points entre l’Insee et les autres.
À noter que les taux d’occupation avancés par ces cabinets privés sont toujours très au-dessus de ceux fournis par l’Insee. Pourquoi donc (voir plus loin) ?
Un autre exemple : l’Institut national de la statistique, qui interroge encore une fois également les chaînes hôtelières intégrées, leur attribue un taux d’occupation pour l’année 2017 de 66,6 %. C’est étrangement proche des 67,2 % et 68,2 % des deux cabinets d’études pris en référence ici. Pourtant, ces derniers avancent que leurs données concerneraient l’ensemble de « l’hôtellerie française ». La démonstration est ainsi faite qu’il s’agit là d’une contrevérité, d’un maquillage. D’aucun dirait d’une tromperie.
Plus généralement, on sait que les hôtels de chaînes intégrées ont des taux de fréquentation supérieurs de 5 à 8 points au plan national, selon les gammes, comparés aux indépendants. Effets de réseau, de notoriété (parfois) et de mix-clientèle plus large permettant un meilleur remplissage, les hôtels de chaînes ayant des hôtels 2,5 fois plus grands en moyenne que les indépendants. Voir notre Panorama de l’hôtellerie française.
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QUELLE EST « L’ASTUCE » DES CABINETS PRIVÉS ?
Justement, parce qu’il est irréalisable d’interroger massivement et représentativement les hôteliers indépendants, les cabinets d’études se laissent alimenter entièrement ou principalement par les statistiques que leur fournissent …les chaînes hôtelières intégrées.
C’est au plus une poignée de mails avec des tableurs Excel reçus chaque mois de la part des groupes hôteliers, renseignés hôtel par hôtel. Le travail de traitement des données transmises est simple, voire simpliste. N’importe quel stagiaire ou débutant peut ensuite agglomérer les taux d’occupation et les prix moyens chambre par gamme par des copier-coller. Mais ce sont plutôt évidemment des scripts automatiques qui font cette tâche.
Un premier cabinet avait trouvé le filon il y a déjà quelques années, en trichant modérément avant de le faire à une échelle industrielle. D’autres de ses concurrents, à l’éthique toute aussi approximative, ont fini par lui emboîter le pas à leur tour pour ne pas rester en plan auprès des médias.
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MANQUE DE TRANSPARENCE ?
Vous croyez ? Le souci est qu’ensuite, les auteurs de ces baromètres conjoncturels faussés — avec des datas très favorables et séduisantes pour les investisseurs — se gardent bien de dire qu’il s’agit des chiffres d’activité des seules (ou principalement) chaînes hôtelières. Ils les transforment, sans scrupules, en « performance de l’hôtellerie française ». Pourquoi se gêner puisque c’est si facile ?
Cela s’appelle aujourd’hui des fake news ou de la désinformation. Pour un peu mieux noyer le poisson dans l’eau, ils parlent également abondamment uniquement du RevPar (combinaison entre taux d’occupation et prix moyen chambre). L’un va même jusqu’à ne pas donner les résultats totaux (prix moyens chambre, taux d’occupation), mais reste prudemment avec une présentation par gamme, pour brouiller un peu plus les pistes. Quand lui et d’autres ne publient que pudiquement des pourcentages d’évolution par rapport à N-1, mais pas de valeurs absolues. Bonjour, j’t’embrouille. On ne sait jamais, si quelqu’un cherchait à découvrir la vérité pas très avouable…
Pour finir de camoufler leur méfait, il est peu courant de voir leur méthodologie dévoilée. Ou alors les cabinets bernent sur le sujet avec des explications sans queue ni tête. Enfin, pour donner une allure « scientifique » à leur publication, certains fournissent leurs données avec deux chiffres derrière la virgule. Il est vrai que « 64,23 % » fait plus savant que seulement « 64,2 % ».
Ajoutez à cela un bon ton péremptoire pour faire croire que l’on est sûr de ce que l’on professe et prenez une posture austère pour expliquer les chiffres, et le tour est joué pour rouler les professionnels et les journalistes dans la farine.
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POURQUOI MENTIR ?
Pour les rares opérateurs privés qui auraient des hésitations, leur objectif final les fait vite rentrer dans le rang. Il s’agit de faire parler de soi dans les médias, de se tricoter une image de « sachant », et même de faire du clientélisme : faire croire que l’hôtellerie se porte très bien pour encourager les investisseurs à créer des hôtels et espérer ainsi par ricochet récolter des études à réaliser. Que cela favorise la surcapacité hôtelière n’émeut pas.
La motivation supplémentaire de publier des chiffres exagérément bons (et inexacts) est de faire plaisir. À qui ? À ses clients groupes hôteliers (en bourse ou non), aux professionnels, et pourquoi pas au ministère en charge du tourisme, aux banquiers, aux organisations professionnelles, etc.
On entre là pleinement dans l’univers des conflits d’intérêts. Le terme est lâché. Et quasiment personne ne semble mettre en doute ces baromètres conjoncturels hôteliers aussi arrangés que le rhum… et surtout pas les journalistes qui reprennent les communiqués de presse comme du bon pain.
En somme, pourquoi se donner du mal à être intègre quand il est si aisé (et moins coûteux en temps et en argent) de tricher. Surtout quand personne ne dénonce ces leurres…
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EN QUOI CES DONNÉES DÉLOYALES SONT-ELLES UN PROBLÈMES ?
La réponse est dans la question ! Est-il vraiment besoin de l’expliquer ?
Si chacun a le droit de s’exprimer et de diffuser des informations, celui qui publie mois après mois des données volontairement fausses — dont l’auteur sait qu’elles sont travesties puisqu’il en est à l’origine — porte une grave responsabilité néfaste à l’intérêt commun. Il n’y a rien de vertueux à faire cela.
Les professionnels, les porteurs de projets hôteliers, les observateurs du secteur hôtelier, les financiers, les banquiers et les élus ont besoin d’avoir des statistiques fiables et sincères pour mieux comprendre le marché et son évolution, et lui faire confiance.
Or, les hôteliers sur le terrain ne se reconnaissent pas dans les données publiées par ces cabinets, sans savoir pour autant pourquoi elles sont infidèles à la réalité. Et pour cause : il s’agit encore une fois des scores des chaînes hôtelières intégrées transformés en ceux de l’hôtellerie française. Ce serait comme si on prenait le volume de ventes des Carambar pour les extrapoler à l’ensemble de la confiserie. Qui peut croire en des taux d’occupation stratosphériques publiés qui n’ont rien à voir avec la réalité ?
Bien sûr, il ne s’agit pas de mettre tous les cabinets d’études privés — des confrères — dans le même sac. Il en existe qui travaillent avec probité et professionnalisme. Et qui jouent la transparence. Du coup, justement, ceux-là ne publient pas de baromètre conjoncturel prétendument porter sur « l’hôtellerie française » ou quand leurs données s’appuient uniquement sur les chaînes hôtelières, ils le mentionnent (rare).
Heureusement que l’Insee — au final, le seul fournisseur de statistiques d’activité fiables sur l’hôtellerie française — a décidé de mettre moins de temps qu’auparavant pour éditer ses statistiques sur l’hôtellerie. Entre temps, les cabinets d’études privés concernés se donnent tranquillement tout le loisir de publier ce qu’ils veulent. Et c’est très préjudiciable pour le secteur.
Mark Watkins
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