BONUS : les CRM dans l’hôtellerie
HÔTELIERS : VOTRE CRM EST (peut-être) VOTRE MEILLEUR ENNEMI
Ce n’est pas parce que la technologie vous aide dans votre communication avec vos clients et prospects qu’il faut la laisser circuler en roues libres. Ce qui devait être attractif et pratique devient souvent un repoussoir pour les clients. Un sujet très actuel qui se met en surchauffe.
En hôtellerie, la relation-client a encore du pain sur la planche pour être performante, pertinente et agréable. Les CRM (customer relationship management ou, en français, gestion de la relation client), aidées (ou dictées) par des logiciels, deviennent la norme du marketing « savant ».
Sauf que les consommateurs sont de plus en plus nombreux à ne plus vouloir les subir, ne plus en pouvoir. A peine nées, elles sont déjà has been, parce qu’on dépasse les bornes de l’acceptable.
ILLUSTRATION PAR L’EXEMPLE :
Cela se passe dans un hôtel parisien. Le client réserve en direct.
1) – Il reçoit un premier mail-type de confirmation de sa réservation. Normal.
2) – Puis, un second mail-type quelques jours avant sa venue : « nous serons heureux de vous recevoir pour votre séjour. Découvrez déjà ici (lien) ce que vous proposent notre hôtel et la région… » ou « Voulez-vous réserver un accès au spa ? » ou « À quelle heure pensez-vous arriver ? (on dirait une maman qui interroge son fils pour le repas de pot-au-feu) ».
3) – 3e mail-type avant la date d’arrivée : « notre restaurant l’Arlequin réputé pour sa cuisine bistronomique (sic) sera ouvert de 19 heures à 21 heures. Voulez-vous réserver une table pour le soir de votre arrivée ? »
4) – Le client arrive. Check-in. Puis, il est encore dans l’ascenseur qui le mène vers sa chambre, quand il reçoit un texto (oui, il a eu l’imprudence de donner son N° de portable lors de la réservation). Pourquoi ce SMS ? Pour lui souhaiter la bienvenue et demander (déjà !) comment s’est passé le check-in. Souhaiter la bienvenue, le personnel de réception ne pouvait-il pas le faire oralement (et avec un grand sourire) ?
5) – Il quitte l’hôtel le lendemain. On lui adresse encore un 5e message (après 4 mails et un texto) de remerciements, au contenu aussi plat qu’un CD et aussi vain qu’une goutte d’eau dans la mer. Là encore, la réception pouvait faire ce travail au départ du client…
6, 7…8) – Puis, à nouveau un 6e mail-type deux jours plus tard qui lui demande de donner son avis sur le séjour, avec un formulaire indigeste, de surcroît. Il n’y répond pas. Il en recevra alors encore deux pour le relancer. Pppffft… !
En tout notre voyageur a été destinataire de 8 messages pour son simple séjour dans cet hôtel. Et cette situation, avec le plus souvent au minimum 4 mails, est devenue courante. Hélas. De quoi tricoter une mauvaise image de l’hôtel avec la furieuse envie de le rayer vite fait de sa liste d’endroits où séjourner.
On n’est pas loin du harcèlement ! Eh, oh, hôteliers… on se calme !
PRODUIT NON CONFORME À L’ÉTIQUETTE
Quant à l’hôtel en question, le souci de bien communiquer et de créer une bonne relation avec le client (ratée) ne se retrouve pas du tout une fois sur place. C’est déception à tous les étages malgré les promesses (non tenues) : chambre et salle de bains très vieillies, propreté et entretien approximatifs (moisissure, taches sur la moquette, rideaux décrochés, miroirs sales, etc.), eau chaude capricieuse tout comme la télécommande de la TV (par ailleurs crasseuse), petit déjeuner pitoyable, ascenseur hors d’âge et rayé comme une vieille voiture… et ainsi de suite. Mais son CRM est moderne.
Soit dit en passant, l’hôtel est à la fois classé 4 étoiles et affilié à une chaîne hôtelière, ce qui n’a pas empêché qu’il soit désolant.
RÉCUPÉRATION DES ADRESSES MAILS
Et pour couronner le tout, le client se voit envoyer quelques semaines après son séjour (qui sera le premier et le dernier dans cet hôtel) une newsletter de l’établissement. Il a été inscrit sur la liste de diffusion à son insu. Il n’en a rien à faire de cette newsletter… Les hôteliers récupèrent fatalement l’adresse mail de leurs clients lors de la réservation et ensuite s’en servent à tort et surtout à travers. Quant à piétiner la RGPD qui réglemente la protection des données et leur usage, cela ne semble pas les déranger.
La morale de cette petite histoire : « rien ne sert de communiquer, il faut servir à point ».
Autrement dit, faire du CRM, c’est peut-être bien, mais :
- Encore faut-il avoir une offre professionnelle et irréprochable à proposer,
- Tant qu’à le faire, autant le faire bien,
- La sur-sollicitation tue le désir.
NÉGLIGER DE SE METTRE À LA PLACE DE SES CLIENTS
Dans ce cas d’école, l’hôtelier croit bien faire en utilisant les technologies (simples) mises à sa disposition. On lui a dit qu’il fallait communiquer avec ses clients. Il le fait. On lui a expliqué qu’il y avait plein d’options sur son logiciel de CRM et il les utilise toutes.
Mais, c’est sans se mettre à la place de ses clients. S’il l’avait fait, il aurait compris qu’inonder le voyageur de mails-types, sans intérêt, produit un furieux effet casse-pied et repoussoir. Et, quelle désillusion pour une offre survalorisée, quand sur place on découvre au pire l’horreur et au mieux la banalité. Une trahison, rien de moins. Et alors, tout s’effondre. Et l’e-réputation distribuée sur les web-plateformes s’ensanglante.
Plus largement, les hôteliers qui se jettent dans cette farce ne sont pas les seuls à sur-communiquer et à importuner le quidam. Les chaînes hôtelières et surtout les OTAs (agences de voyages en ligne) le font déjà depuis un moment. Les sites de ventes en ligne également.
C’est d’ailleurs justement parce que les autres versent dans ces pratiques, que les hôteliers croient que c’est bien de faire la même chose.
HUIT TUE-L’AMOUR :
Si tous les revendeurs de solutions de CRM militent à tue-tête pour que les hôteliers se mettent à la page et se forcent enfin à communiquer avec leurs clients avec leurs outils, il y a un grand nombre d’arguments qu’il faut retenir pour savoir ne pas aller trop loin et faire le bon choix entre ce qui est indispensable et ce qui ne l’est pas. Au risque d’obtenir l’inverse de ce que l’on recherchait :
1. ENNUYEUX MAILS-TYPES
La standardisation n’est pas née avec l’informatique. Déjà du temps des machines à écrire, les hôteliers rédigeaient des lettres-types adressées à leurs clients. Cela permet de gagner du temps et tout le monde ne maîtrise pas forcément l’art écrit. Pour une confirmation de réservation, cela ne pose pas de problème. Le client lui aussi y gagne du temps. On peut rester dans le factuel, bien rédigé.
Mais, pour toute communication répondant à des requêtes des consommateurs, c’est une autre affaire. Quoi de plus déplaisant et peu crédible qu’une réponse standardisée à des commentaires en ligne, à une demande de renseignement ou encore, comme dans le cas de cet hôtelier parisien, de mails normalisés avec des phrases bateau et passe-partout qu’on ne peut plus souffrir… ?
Autant ne rien envoyer que de produire des communications aussi redondants qu’insipides. Quant aux chatbots (agent conversationnel — sic), méfiance par rapport à leur impact sur les consommateurs.
2. PROBLÈMES DE CODAGES
On voit de plus en plus souvent des mails mal codés (voir exemple ci-contre), truffés de caractères indésirables. Pour se défendre, les hôteliers disent que c’est la faute à l’informatique (qui a toujours bon dos) et que des messages partent automatiquement.
Mais, le client ne peut que se dire qu’un employé a vu ce texte et l’a laissé partir malgré tout. Pour soigner sa réputation, il y a mieux !
3. SATURATION
Les consommateurs en général — nous tous —, dont les clients d’hôtels, reçoivent heure après heure un trop-plein de SMS commerciaux, des tonnes de mails non sollicités, des notifications à la pelle et des propositions en veux-tu-en-voilà de téléchargement d’applis …qu’ils ne supportent plus.
Sans compter ce qui finit directement dans les anti-spams. Sans parler de newsletters qu’on leur adresse sans leur demander leur avis, malgré la réglementation. Et il est impossible de s’en protéger.
Comme s’il était seul au monde, l’hôtelier aussi s’y met avec ses multitudes de mails dont un seul est vraiment profitable : la confirmation de réservation, encore une fois.
C’est la surcharge d’information qui provoque une surcharge mentale étourdissante. Un hôtel qui agit de même ne va qu’entrer dans ce cercle non vertueux et ne pourra pas se donner une renommée sympathique par ce biais. L’hôtelier pense qu’il réalise un acte vendeur pour son établissement alors que c’est le contraire.
4. BANALISATION
Sauf pour des séjours ou une occasion vraiment d’exception (lieu de vacances paradisiaque, hôtel de très grand luxe, voyage de noce…), un hébergement dans un hôtel est tout ce qu’il y a de plus banal pour la majorité des voyageurs. C’est même à peine une étape pratique pour celui qui voyage pour affaires. Sans plus.
Ce n’est pas plus original que d’acheter son pain chez le boulanger ou faire son plein d’essence. Le client n’achète quand même pas une Rolls, une villa de 3.000 m2 ou un yacht… pourtant, à lire les messages des hôteliers, on croirait que si.
Pourquoi alors chercher à faire croire que l’on nous prépare une « expérience » — nouvelle expression à la mode qui est bien crispante — hors du commun ? Alors qu’il n’en est rien. Et que l’on s’en fiche. Recevoir correctement ce qu’on a commandé serait déjà très bien, sans survendre.
5. INTRUSIF
Ces communications — ciblées, mais le plus souvent pas —, que personne n’a demandées, que personne n’attend, que personne ne souhaite vraiment, nous arrivent de partout comme des obus sur un champ de bataille. Cela tire abondamment et l’on est alors sur la défensive, au lieu d’être dans la confiance.
6. ÉPUISANT
Combien de fois par jour doit-on remplir un formulaire en ligne, ouvrir un compte ou s’identifier pour de simples requêtes sans importance ? Combien perdons-nous de temps à cause des technologies alors qu’elles étaient supposées nous en faire gagner ? Combien de questions pesantes nous pose-t-on qui nous épuisent ? En quoi est-ce intéressant pour celui à qui on les adresse ? De quoi faire fuir au plus vite.
7. OBLIGATION D’ANTICIPER TOUT
La grande tendance est d’obliger les clients à tout anticiper, tout prévoir, tout organiser par avance. Dès la réservation, il faut déjà savoir si on risque de devoir annuler une réservation (le prix variera), à quelle heure on arrivera, si l’on voudra prendre un petit déjeuner ou un repas, si l’on souhaitera une chambre confort, prestige ou premium, si l’on préférera une douche ou un bain, etc. Et pourquoi pas du sucre avec le café ?
Si cela peut évidemment se comprendre du côté des professionnels pour leur organisation, même si toutes les questions ne sont pas primordiales, c’est souvent un tue-désir pour les clients.
On est encore pleinement dans le marketing de l’offre (qui impose des points de vue aux clients) et encore loin du marketing de la demande (qui s’adapte à leurs souhaits, attentes et besoins… quitte à ce qu’ils décident au dernier moment, une fois sur place).
On ne laisse plus de place à la spontanéité, à l’envie du moment, à l’improvisation, au changement de dernière minute… qui ne sont pas autre chose que la vie, tout simplement. Quand on change, il faut alors payer, indemniser le professionnel, mettre une croix sur son acompte, se justifier. Très pénible.
8. LE NON-DROIT À L’ERREUR
Non seulement il faut tout prévoir, mais quand on se trompe, corriger une erreur (de saisie, de dates, de choix…) devient parfois (souvent ?) un parcours du combattant, à lutter contre les procédures et le système. Ceux qui ont déjà réservé des billets d’avions en se trompant d’une lettre dans leur nom savent de quoi l’on parle…
En hôtellerie aussi, on est parfois face à une froide posture administrative liée aux protocoles qu’impose l’informatique mal pensée.
Les clients d’hôtels ont des attentes basiques : confort, propreté, bon accueil, petits déjeuners de qualité, restaurant où l’on se sent bien, connectivité. Rien de révolutionnaire. Loin de la technologie tous azimuts, hormis la Wifi. Lire notre dossier sur les attentes des clients d’hôtels.
Remplacer le vrai contact humain par des substituts écrits ou des boîtes vocales, ou encore des applis qui vous donnent le numéro de la chambre attribuée en arrivant sans passer par la réception, sont les plus mauvaises des idées que l’on ait trouvées pour les hôtels. Peu de voyageurs y adhèrent vraiment.
A l’image de tous ces restaurants où le serveur se contente de tendre la carte-menu et d’attendre que les clients fassent leur choix, au lieu de les conseiller, de leur faire des suggestions, de vendre, de s’intéresser à eux, de discuter.
Le prétexte à tout écrire et à se retrancher derrière est celui d’une illusion d’amélioration du service aux clients, quand la vraie raison est celle de la recherche d’économies et parce qu’on n’a pas confiance dans son personnel. Bref, il faut que l’humain (compétent) et l’accueil (empathique) reviennent au-devant de la scène, et que l’on cesse de faire joujou avec les technologies pour remplacer ce qu’on devrait faire autrement, en mieux et en plus vendeur.
« Le progrès ne vaut que s’il est partagé par tous » (Aristote et accessoirement la SNCF — défense de rire) …oui, mais : cela dépend de quel progrès et avec qui le partager.
Mark Watkins
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