BONUS : rapports parlementaires sur le tourisme
LES RAPPORTS PARLEMENTAIRES SUR LE TOURISME, À QUOI ÇA SERT ?
Regard sur un phénomène à la mode qui lasse et qui laisse les professionnels du tourisme sur leur faim.
La presse vient régulièrement faire état de nouveaux rapports parlementaires sur le tourisme. Leurs titres et sous-titres sont ronflants. Mais, leur contenu ? On n’en sait rien. Cela n’intéresse plus personne. Ou bien, on les a déjà oublié.
Leur sort ? Comme les précédents rapports, au mieux, au fond d’un placard de l’Assemblée nationale, du Sénat et d’un ministère. Au pire, pour caler une armoire ou comme allume-feu pour les prochains barbecues.
C’EST QUOI, UN RAPPORT PARLEMENTAIRE ?
Un rapport parlementaire est un travail d’étude produit par une commission ou un groupe de travail, constitué de parlementaires (députés ou sénateurs) présenté devant le Parlement par un ou des rapporteurs. « Un rapport parlementaire, au sens strict du terme, n’a pas valeur de loi et constitue un document de travail, qui doit normalement aboutir à une discussion en séance publique ou peut déboucher sur une proposition de loi » (Wikipedia).
Entre 2017 et mi-2023, il n’y a pas eu moins de 17 rapports parlementaires sur le tourisme, Assemblée nationale et Sénat confondus. C’est plus d’une quarantaine depuis une quinzaine d’années.
Sans compter les discussions de projets de lois, comme sur les meublés de tourisme stimulés par la suractivité d’Airbnb, ou encore les missions d’études sur un thème touristique confiées à un ou des députés ou à des personnalités de la société civile par le Premier ministre ou un ministre. Sans oublier les rapports produits par la CESE (Chambre économique, sociale et environnementale).
COMMENT SE PASSE LA MISSION D’ÉTUDE ?
La commission aidée par des fonctionnaires et/ou des assistants parlementaires prend en compte des publications sur le thème étudié et auditionne qui bon lui semble afin de l’éclairer. Il s’agit dans la plupart des cas de représentants de syndicats professionnels, d’associations, d’organismes touristiques, de collectivités et d’experts. Il s’en suit un rapport qui reprend ou pas ce que les personnes auditionnées ont pu dire devant la commission ou les rapporteurs.
DES RAPPORTS PARLEMENTAIRES IMPARTIAUX ?
Si les membres des groupes de travail, dont rapporteur et président, sont toujours des élus de (presque) tout bord politique, on se rend compte, sans peine, à la lecture des différents rapports parlementaires sur le tourisme que ces derniers sont presque toujours à charge et donc avec un contenu qui n’est pas impartial.
C’est à dire que l’on voit clairement que leurs auteurs cherchent à démontrer un postulat de départ et vont réunir ce qu’il faut comme informations et comme informateurs dans ce dessein. Et en écarter d’autres, s’ils jugent leur témoignage contraire à ce qu’ils souhaitent trouver.
Pourquoi de telles influences ? Est-ce pour satisfaire une idéologie, un parti pris, un intérêt politique ou la cause d’influenceurs à qui faire des cadeaux (en contrepartie de quoi ?) ? Ou encore est-ce juste le fruit d’une méconnaissance ?
D’ailleurs, bon nombre de professionnels interviewés par les commissions disent avoir sérieusement ressenti cette impression que tout est d’emblée orienté.
RAPPORTS PARLEMENTAIRES SUR LE TOURISME : COMPÉTENTS ?
Le moins que l’on puisse en dire est qu’ils le sont rarement. Déjà, sans exception, ils commencent par des contrevérités : « Avec XX millions de visiteurs étrangers (selon les années), la France demeure la première destination touristique au monde en nombre de touristes, mais pas en termes de recettes ». Mais aussi, le surprenant : « les touristes ne dépensent pas assez en France. Il faut y remédier », sur la foi de données complètement incomprises et infondées.
Ou, « le tourisme représente 7 % (ou 8 %, voire 10 % !) du PIB national et plus de 2 millions d’emplois. » Ou encore, « (il faut) conforter cette première place, en portant le nombre d’arrivées touristiques à 100 millions de touristes internationaux à un horizon proche et augmenter les recettes touristiques par visiteur étranger. »
Lus ici et là régulièrement…
Or, nous savons tous que les chiffres officiels sur le tourisme, sur lesquels s’égarent les parlementaires — nombre d’arrivées, recettes touristiques, PIB, nombre d’emplois — sont une pure invention, de la science-fiction. Une sorte de grand canular.
Eh oui ! Il n’existe pas de méthodologie fiable pour déterminer des chiffres d’activité tels qu’ils sont dans la réalité. Personne ne sait identifier et compter combien la France reçoit de touristes étrangers (liberté de mouvements pour les Européens, entrées sans visa pour d’autres), ni combien de temps ils restent sur notre territoire, ni ce qu’ils dépensent — lire notre article sur le sujet.
Ce qui fait qu’étayer des rapports parlementaires sur des constats faux et des données fantaisistes, écrites sur un coin de table, n’apporte aucun crédit au travail réalisé. C’est construire sur des sables mouvants.
DES EXPERTS CONSULTÉS, DONC C’EST FIABLE, NON ?
Pour étayer leurs travaux, les membres des commissions parlementaires convoquent des experts et spécialistes. En tout cas nommés ainsi. Mais, on s’aperçoit que ce sont quasiment toujours les mêmes qui sont auditionnés depuis des années par les parlementaires et les mêmes publications qui servent de référence. Y compris les uns et les autres qui sont les moins recommandables.
Ce qui explique que l’on trouve toujours des contenus identiques dans les rapports parlementaires sur le tourisme, les mêmes orientations et les mêmes constats, année après année. Il n’y a jamais rien de nouveau même quand le tourisme change, comme la conjoncture. On prend les mêmes et on recommence.
Tout cela est cependant présenté comme des révélations, des nouveautés et une découverte. Ce qui est sûrement vrai pour les députés et sénateurs, dont la majorité d’entre eux n’entendent rien à l’industrie touristique. Y compris — cela s’est vu — des élus de territoires touristiques.
Parmi les personnalités auditionnées et entendues, il y a rarement des désintéressés. Beaucoup ont quelque chose à défendre ou à gagner, qui concerne l’intérêt corporatiste jusqu’à celui plus privé. Enfin, parmi eux, on en connaît qui détiennent un grand professionnalisme et une expertise appréciablement reconnue. Et d’autres, autant pris en compte, sont (très) connus comme étant parfaitement incompétents dans le tourisme, voire incompétents tout court.
Pour le reste, pratiquement tous les rapports enfoncent des portes déjà largement ouvertes depuis longtemps, sur la nécessité de mieux accueillir les touristes, sur l’idée de l’excellence, sur la montée en gamme des hébergements et sur bien d’autres banalités que l’on entend en boucle depuis plus de 25 à 30 ans. Enfin, tous souffrent de très nombreuses affirmations contradictoires au fil des pages ; de quoi se perdre.
Enfin, on retiendra entre autres cette phrase d’un rapporteur de la Commission des affaires étrangères qui a œuvré sur le thème de la promotion touristique de la France : « nous sommes d’accord que les taxes de séjours doivent augmenter, ce qui est acté. Il faudra à présent décider de ce qu’il sera fait de cette cagnotte ». Mettre la charrue avant les bœufs. Il fallait y penser. « Allez, messieurs les puissants. Prélevez donc des taxes ; il en restera toujours quelque chose », disait Voltaire…
DES TRAVAUX UTILES ?
Même avec un contenu vain et mal informé, c’est quand même la grande question qui couronne le tout. Est-ce que ces travaux parlementaires servent à quelque chose ou même à quelqu’un ?
En théorie, on pourrait croire que oui. C’est toujours bon de savoir que les Chambres parlementaires s’intéressent au tourisme. D’autant plus que les gouvernements ont été peu nombreux à le faire avec sérieux
Mais, de façon totalement empirique, on peut dire que non, ces rapports parlementaires sur le tourisme ne servent à rien, ni à personne. On n’y a jamais vu un début d’utilité, tant pour l’exécutif — qui s’assoie généralement dessus —, que pour les élus, qui passent très vite à autre chose.
Exception faite quand il s’agit d’aboutir à la création de nouvelles taxes ou de leur augmentation. « Oui, la France étant la première destination touristique mondial (crise ou pas crise, c’est pareil — NDLR), ça va bien pour les professionnels du tourisme. On peut les taxer davantage » — citation entendue de la bouche d’un député.
Les pages emplies de yakafaucon montrent l’impuissance du système et de la chose publique envers le tourisme. Mais aussi, l’impéritie des élus dans le domaine touristique.
Les rapports des Chambres parlementaires sur le tourisme servent encore moins aux professionnels du tourisme et aux collectivités, qui y découvrent, encore une fois, toujours les mêmes galimatias et les mêmes généralités pour lesquelles personne n’a jamais rien fait. Aussi intelligentes puissent être quelques (rares) suggestions ou recommandations remises dans ces dossiers, on ne les voit jamais aboutir concrètement en une mise en œuvre.
À QUI CELA FAIT-IL PLAISIR ?
Au moins aux rapporteurs et aux présidents des commissions qui pondent ces rapports sur le tourisme. Le temps qu’ils se voient mettre en lumière quand quelques journalistes reprennent sans sourciller leurs conclusions. Même chose lorsqu’un député s’est vu confier une étude sur un sujet par un ministre.
Sans oublier les invités auditionnés par les groupes de travail, qui s’avouent fatalement fières que des parlementaires leur aient accordé l’honneur de les écouter, même si c’est des bêtises. Et, ces experts — parfois d’un seul jour — ne se lassent pas d’en parler autour d’eux et sur les réseaux sociaux. De quoi flatter, c’est déjà ça. Cela fait quand même peu de monde, au final.
CONCLUSION ?
D’aucuns diront que les rapports parlementaires sur le tourisme. « C’est juste du vent qui ne fait pas gonfler les voiles« , rappelle le patron d’un grand groupe hôtelier. Sur des fondements qui ne tiennent pas et avec des vœux pieux, usés jusqu’à la corde. Un avis sévère mais qui s’impose, depuis le temps. Il y a des publications bien plus intéressantes à lire.
Mark Watkins
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